Les changements climatiques inquiètent Thomas Mulcair

En conclusion du quatrième colloque de philosophie, mercredi, au Cégep de Victoriaville, l’ex-homme politique et ancien ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, a sonné l’alarme en quelque sorte, se disant inquiet par la situation actuelle.

Devant plus d’une centaine d’étudiants réunis dans la salle de groupement, l’avocat de profession et ancien ministre de l’Environnement de 2003 à 2006, a, d’entrée de jeu, évoqué un récent rapport d’expert (automne 2018). «Le rapport est alarmant. Je ne suis pas de nature pessimiste, je ne suis pas non plus alarmiste, mais je suis alarmé. Je suis inquiet», a exprimé Thomas Mulcair qui cumule près de 25 ans de vie politique, d’abord sur la scène provinciale, puis au fédéral.

En le présentant aux élèves, l’enseignant Rémy Gagnon, responsable du colloque, l’a qualifié «d’interlocuteur de haut niveau», pour parler des changements climatiques, lui qui s’est inspiré de ce qui se passait en Europe au chapitre de l’environnement et des politiques climatiques pour préparer et développer la Loi québécoise sur le développement durable. «On le considère comme un précurseur», a précisé Rémy Gagnon.

La salle de groupement était bondée. (Photo lanouvelle.net)

Thomas Mulcair s’est réjoui de se retrouver à Victoriaville. «La dernière fois que j’y suis venu, c’était avec Jack Layton», a-t-il rappelé, tout en qualifiant de «majestueux» cet édifice historique, le Cégep de Victoriaville.

«Comme ministre de l’Environnement à l’époque, je me suis vite rendu compte que si une ville méritait le titre de berceau du développement durable, c’était bien Victoriaville», a-t-il souligné.

Rapidement, le conférencier n’a pas manqué de fustiger les politiciens de sa génération. «Il ne se fait rien au niveau politique pour que vous, vos enfants et vos petits-enfants ayez un avenir certain. Ma génération  de politiciens a échoué en matière de lutte aux changements climatiques», a-t-il souligné.

Comment a-t-on pu en arriver là?, s’est questionné l’actuel professeur invité de l’Université de Montréal en matière d’environnement et de développement durable.

Dans son allocution, Thomas Mulcair a parlé de plusieurs personnes, «ces acteurs, ces agents importants dans le mouvement environnemental, des gens qui nous ont forcés à réfléchir».

Un de ceux-là, a-t-il dit, est un médecin londonien qui, en 1770, a découvert un lien probable entre un cancer spécifique et rare et des malades qui pratiquaient tous le même métier, ramoneur.

«Déjà à cette époque on était en train d’affecter négativement notre environnement tout en démontrant des effets identifiables sur la santé humaine», a fait valoir M. Mulcair.

Évoquant la révolution du début du XXe siècle pour jeter «par-dessus bord», le système capitaliste qui imposait même le travail des enfants, le conférencier a lancé : «Ça prendra quoi comme révolution ou menace de révolution pour faire réagir.» Du même souffle, Thomas Mulcair faisait état de ces personnes enchaînées devant le bureau du premier ministre François Legault à Montréal.

Faisant un saut dans l’histoire, M. Mulcair a rappelé que les dirigeants, dans la foulée de la Première Guerre mondiale s’étaient bien rendu compte de la menace d’un soulèvement s’ils ne soutenaient pas la justice sociale pour changer rapidement et radicalement les choses.

Celui qui a enseigné dans différentes universités a souligné aussi l’influence de quatre femmes du siècle dernier. «Quatre femmes, des modèles pour moi, avec une vision qui peut encore nous inspirer aujourd’hui», a-t-il exprimé.

Il fait mention de cette biologiste qui, il y a une soixantaine d’années, a constaté les effets des pesticides sur la reproduction d’oiseaux et sur la disparition des saumons de l’Atlantique dans une rivière du Nouveau-Brunswick. «Elle s’est battue avec courage contre ce qui était en train de se passer. On l’a attaquée de tous bords tous côtés en la qualifiant d’hystérique», a précisé Thomas Mulcair tout en notant que, 60 ans plus tard, un lanceur d’alerte à Québec a révélé que nos politiques en matière de pesticides étaient déterminées par cette industrie.

Le conférencier Thomas Mulcair en compagnie du responsable du colloque Rémy Gagnon (Photo lanouvelle.net)

Ce qui a mené M. Mulcair à saluer le Cégep de Victo pour son action en matière d’agriculture biologique. «Bravo pour tout ce que vous faites afin que les générations futures ne mangent plus de pesticides. Vous êtes des précurseurs.»

Sens du devoir

Dans son discours, Thomas Mulcair fait voir la possibilité d’agir, citant des cas où des hommes d’État ont su faire preuve du sens du devoir et agir sur des problèmes réels, comme les problèmes des pluies acides ou encore le fameux trou dans la couche d’ozone. «On a démontré qu’on peut, avec l’innovation et le respect de l’environnement, être même plus efficace économiquement. On est capable d’agir rapidement pour venir à bout des problèmes», a-t-il plaidé.

Mais pourquoi n’y arrive-t-on pas avec le CO2?, s’est encore demandé M. Mulcair. «J’étais dans la salle en décembre 2015 à Paris quand le Canada a promis de faire les choses autrement, quand Justin Trudeau a dit : Canada is back. Le Canada est de retour, oui, mais avec le plan et les échéanciers du conservateur Stephen Harper. Le récent rapport de la commissaire du gouvernement fédéral en matière d’environnement révèle qu’il nous est impossible de faire face à nos obligations pour 2020 ni même pour 2030. Ça prend du courage pour l’écrire en raison des très fortes pressions extérieures», a-t-il souligné.

Devant notamment la multiplication des feux de forêt, la fonte des glaces en Arctique qui risque de dégager davantage de méthane, «un gaz 22 fois pire que le CO2», la preuve n’est plus à faire, selon Thomas Mulcair. «Il faut agir, mais comment?»

Des actions comme ceux qui s’enchaînent? «Je suppose que ça peut faire partie des solutions pour que les dirigeants s’en rendent compte, a-t-il noté. Et faudrait-il aussi un mouvement néo-marxiste pour dire que le système ne fonctionne pas et qu’il va falloir commencer à s’occuper des êtres humains sinon on court à notre perte?»

Thomas Mulcair est d’avis que la loi québécoise sur le développement durable, qui donne la possibilité aux individus et aux communautés de contester devant les tribunaux le droit de vivre dans un milieu sain, constitue une avenue intéressante pouvant être amenée sur la scène internationale.

Et une taxe sur le carbone, selon lui, est une nécessité, mais une résistance s’organise, a-t-il déploré. «Imposer un prix sur le carbone constitue pourtant la seule manière de forcer la réduction de gaz à effet de serre et de venir à bout des changements climatiques», a-t-il soutenu, invitant les jeunes à questionner les opposants, comme le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer. «Demandez-lui ou demandez à M. Rayes (Alain) pourquoi il s’y oppose et quelle est sa solution pour respecter votre droit et celui de vos enfants et petits-enfants de vivre sur cette planète.»

Avant de répondre aux questions des jeunes, Thomas Mulcair a terminé sa conférence de 45 minutes en soutenant qu’il fallait continuer à trouver ses solutions créatrices et en posant «l’ultime question» : qui décide? «Est-ce la compagnie de pétrole qui veut continuer de faire des véhicules énergivores en pensant à ses poches ou à la valeur de ses actions? À vous de décider dans quelle sorte de société vous voulez vivre et quelle sorte de monde vous voulez réserver à vos enfants et vos petits-enfants», leur a-t-il dit tout en les invitant à l’action. «Tenez-vous debout, battez-vous! De toute évidence ceux qui étaient là en politique dans les dernières années n’ont jamais fait autre chose que de faire croire qu’ils étaient en train d’agir, mais ils ne faisaient rien.»

Et en tant que président du conseil d’administration du Jour de la Terre (célébré lundi), Thomas Mulcair a conclu en disant qu’il fallait «faire la bataille contre ce qu’on fait à nous-mêmes». «Je ne suis pas alarmiste, mais, si on ne le fait pas, je crains que votre génération en paiera le prix.»