Démystifier les abus sexuels commis envers les enfants et ses conséquences

Le film Les chatouilles, sorti sur grand écran le 14 novembre dernier, a obtenu un premier prix au Festival de Cannes et six nominations à différents festivals du cinéma. C’est la première fois qu’un film portant sur l’abus sexuel commis envers un enfant obtient une telle notoriété.

Cette histoire, c’est celle de la scénariste, Andréa Bescond. Cette artiste multidisciplinaire française est danseuse, comédienne, actrice, metteure en scène, scénariste et réalisatrice. Sa carrière est ponctuée de nombreuses reconnaissances, dont le Prix espoir du concours international de Paris en 1998 et la révélation féminine aux Molières de 2010.

En 2014, elle a écrit et interprété, seule sur scène, Les chatouilles ou La danse de la colère qui lui a valu le Molière ainsi que le Prix d’interprétation féminine d’Avignon critique off. En 2015, elle écrit le scénario pour l’adaptation cinématographique tout en continuant à jouer la version théâtrale en 2015 et 2016, prestations pour lesquelles on lui a décerné le Molière de la meilleure Seule en scène ainsi que les Prix Nouveau Talent Théâtre SACD et Jeune Talent Théâtre de l’Académie française.

Elle n’est pas la seule célébrité à lever le voile sur ce qu’elle a subi. Pamela Anderson a révélé avoir été agressée par sa gardienne à 6 ans, violée par le frère d’une amie à 12 ans et subi un viol de groupe à 14 ans. Oprah Winfrey a été violée par son beau-père à 9 ans et, plus près de nous, Nathalie Simard a été agressée à 11 ans par son producteur qui lui a imposé des relations sexuelles complètes à 12 ans.

Les garçons, quoique moins nombreux ou plus discrets, ne sont pas épargnés, ainsi Marilyn Manson a révélé avoir été victime d’abus sexuels répétés d’un voisin et des compagnons d’école plus âgés en ont fait subir autant à Ozzy Osbourne.

Ces artistes, connus mondialement, ont brisé un tabou et sont devenus un exemple en ayant le courage de mettre en lumière ce qu’ils avaient trop longtemps maintenu dans l’ombre. Ils espéraient ainsi que leur notoriété fasse en sorte d’inciter d’autres victimes à dénoncer leur agresseur, de se libérer du secret qui permet que ça continue, et surtout de retrouver l’estime de soi. Combien ont subi ou continuent de subir des agressions plutôt que de profiter de leur enfance?

Rendre la responsabilité à qui elle appartient

La honte des gestes à caractère sexuel a été, et est encore, souvent porté par la victime. L’a-t-elle agacé par ses propos, son attitude, ses vêtements?

A-t-on pensé à ce que ressent un enfant, un adolescent, quand l’agresseur est une personne significative qu’il aime et qu’il admire? A-t-on imaginé sa confusion quand l’agression est présentée comme un jeu, une marque d’attention, un banal geste d’amour? Comment un enfant peut détecter quand une intention passe d’affectueuse à sexuelle? Avec quels mots peut–il décrire le trouble, l’excitation et le désir d’un adulte alors que la personne concernée niera et le fera passer pour un fabulateur?

Il est évident que l’enfant n’est pas prêt, ni dans son corps ni dans son esprit, pour être initié à la sexualité, même à l’âge de la puberté où il découvre la séduction. L’intérêt et la curiosité qui s’éveillent ne sont pas une justification et n’atténuent en rien la responsabilité de l’adulte.

Souvent le choc de l’agression est tel que le cerveau disjoncte et le traumatisme est enfoui au plus profond de sa mémoire afin que l’enfant puisse survivre. Puis, un jour, des semaines, des mois ou des années plus tard, c’est le déclic. La douleur, la culpabilité, la honte, la rage, le faible estime de soi, la lourdeur du secret et l’impuissance refont surface et prennent toute la place. Cette douleur se traduit d’une multitude de façons : dépression, dépendances, crises et mal être qui dépassent autant la personne concernée que son entourage. Cet entourage qui ignorait tout ou détournait le regard, n’osant confronter ou minimisant ce qui se passait devenant ainsi des complices passifs.

Plus fréquent qu’on le croit

Au Québec, on estime qu’au moins un homme sur 10 et une femme sur quatre ont vécu au moins un incident d’agression sexuelle avec contact avant l’âge de 18 ans.[1] Les victimes mineures représentent plus de la moitié des victimes d’infractions sexuelles rapportées aux corps policiers. Ces chiffres sont évidemment plus élevés si on ajoute le voyeurisme, l’exhibitionnisme, les gestes et les remarques à caractère sexuel sans contacts, qui peuvent être très traumatisants pour certains enfants.

En 2013, les infractions sexuelles enregistrées par les services de police au Québec démontrent que 61,8% de victimes sont des jeunes filles de 12 à 17 ans, alors que les garçons sont plus souvent agressés dans leur enfance, soit 58,9% avant 12 ans..[2] En 2008, le type d’agressions sexuelles déclarées par les services de protection de l’enfance au Canada était majoritairement des attouchements (53%), suivi d’une agression sexuelle avec pénétration (21%).[3]

Les agressions sexuelles envers les enfants sont commises par des personnes connues de la victime dans 97% des cas, des membres de la famille dans 33% des cas, dont 25% sont le fait d’un frère ou d’une sœur. Les agresseurs mineurs représentent 30% des cas rapportés.[4]

Les conséquences

La gravité des répercussions des agressions sexuelles varie évidemment en fonction de la nature des actes commis, de la résilience de la victime, de l’attitude de l’agresseur (violent ou manipulateur) et de la qualité du support obtenu. Une fois adulte, il est cependant probable qu’il y ait des conséquences, plus ou moins importantes, sur la vie affective et sexuelle, autant pour la victime que pour l’agresseur-e dont les récidives sont prévisibles s’il n’est pas dénoncé et ne reçoit pas d’aide.

Certaines victimes d’inceste ont de la difficulté à s’investir dans une relation durable et satisfaisante, étant donné qu’elles se sont senties trahies par une personne de qui elles attendaient protection et sécurité. Elles se considèrent comme un objet de plaisir, indignes d’être aimées et ont de la difficulté à faire confiance à leur partenaire, mêlant méfiance et dépendance, amour et haine, désir et dégout.

D’autres, paralysées par les peurs et les phobies, s’isolent, s’investissent dans les études, le travail ou un passetemps qui prend toute la place. Plusieurs, qui souhaitent une relation de couple stable, sont démunies face à une sexualité insatisfaisante (hypersexualisation ou absence de désir), ont de la difficulté à faire la différence entre le réel et les projections, le vrai et le faux, font peu confiance en leur ressentis et sont terrorisés par la peur de la trahison et de la manipulation. Ces personnes, qui se sentent facilement envahies, ont de la difficulté à mettre leurs limites et à les faire respecter, ainsi que respecter les limites de l’autre.

Cette immaturité émotionnelle et cette hypersensibilité sont handicapantes, sources de conflits et font en sorte que définir ses besoins et y répondre est ardu. Le désir que l’autre devienne le parent réparateur peut entrainer des frustrations et de la colère quand ces besoins ne sont pas comblés.

Cette personne sera vulnérable à la manipulation et à la violence et le risque de revictimisation sera élevé, car être une victime peut être moins angoissant que le vide. Les cadres, filets ou repères, mêmes toxiques, sont rassurants, car ce sont les seules références connues. Sa conviction qu’elle ne vaut rien et qu’elle ne sait pas choisir ses partenaires la conforte dans sa croyance qu’elle est indigne d’amour augmentant ainsi sa vulnérabilité. Cette situation est d’autant plus à risque quand le couple est formé de deux survivants d’un environnement familial dysfonctionnel.

Les solutions

Il est essentiel pour les victimes de sortir de leur isolement, de refuser de se taire, de dénoncer, d’apprendre à gérer ses émotions, de reconnecter avec les sensations de son corps, d’éprouver du plaisir, de s’affirmer, de se déculpabiliser, de se désintoxiquer, d’adopter de nouveaux mécanismes de défense et intégrer de nouveaux concepts. Avec de l’aide professionnelle, il est possible de cesser d’être une victime, de se restructurer sur des bases solides et saines afin de faire de meilleurs choix et de faire respecter ses limites.

Le fait de devenir des personnes épanouies, conscientes de ses droits et devoirs, fournit les outils nécessaires pour cheminer dans la vie de façon autonome, à développer sa confiance en soi, de se sentir libres et de devenir de meilleurs parents.

Prévenir pour ne pas avoir à guérir

Il est primordial de répéter à nos enfants que personne ne peut les obliger à faire des choses qui les mettent mal à l’aise. Bien sûr, un baiser sur la joue d’une tante ne représente pas un danger, cependant si l’enfant intègre qu’il doit faire ce qu’un adulte lui demande même s’il n’en a pas envie, il devient vulnérable. Laissons nos enfants décider à qui et comment ils veulent démontrer leur affection et n’ayons pas peur de confronter ceux qui refusent de les respecter.

Que vous ayez besoin de conseils pour faire de la prévention auprès de vos enfants, que vous ayez besoin d’écoute, d’informations ou pour avoir des références sur des organismes qui peuvent vous aider, vous pouvez vous adresser aux intervenantes d’ESPACE Bois-Francs au 819-752-9711 à votre service depuis 1987.

[1] Chiffres de 2006

[2] Source : DUC 2 – MSP 2013

[3] Source ÉCI-2008

[4] Source ÉCI-2008