Virage à droite au feu rouge : 15 ans plus tard, le débat persiste

En janvier dernier, Gianfranco Passuello, 75 ans, traversait une grande intersection de Saint-Basile-le-Grand, en banlieue sud de Montréal. Il n’y est jamais parvenu, ayant été heurté à mort par une voiture qui tournait à droite sur un feu rouge. À la veille du 15e anniversaire du règlement permettant les virages à droite aux feux rouges au Québec demain, la veuve et les enfants de M. Passuello implorent le gouvernement d’interdire cette pratique dans l’ensemble de la province.

«À Montréal, ils n’ont jamais entériné ça, ce n’est pas pour rien. Si une grande métropole dit non, je me demande pourquoi les banlieues, ce ne serait pas grave», a lancé Nathalie Dussault, la veuve de la victime, en entrevue téléphonique avec les trois enfants du couple, Rachelle, Vittorio et Guiliano, qui sont âgés respectivement de 24, 19 et 17 ans.

À l’intersection où son mari est décédé, entre le boulevard du Millénaire et la route 116, il est maintenant interdit de tourner à droite au feu rouge. Une adolescente avait été happée mortellement à cet endroit précis quelques mois avant le décès de M. Passuello.

«Il faut toujours attendre un ou deux ou trois accidents, pas nécessairement mortels, mais on dirait qu’il faut ça pour réveiller les gens», a plaidé Mme Dussault.

«Ce n’est pas juste pour les piétons, c’est aussi pour les autres autos, c’est grave pour tout le monde à mon avis», a renchéri sa fille Rachelle.

Plus de 1000 victimes

Selon des données obtenues par La Presse canadienne auprès du ministère des Transports, sept personnes sont mortes d’avril 2003 à 2016 à la suite d’un accident causé par un automobiliste qui avait tourné sur un feu rouge. Les chiffres de 2017 et 2018 n’étaient pas disponibles.

D’après ces données, on a dénombré également 37 blessés graves, et 1140 blessés légers. Au total, le ministère a recensé 1184 victimes — ce qui comprend les blessés et morts.

Dans les dernières années, le nombre de victimes a sensiblement diminué par rapport aux sommets atteints en 2006, 2008 et 2009, mais les chiffres ne semblent pas nécessairement s’améliorer au fil du temps.

Le ministère des Transports martèle que le virage à droite est sécuritaire pour tous les usagers de la route «s’il est bien exécuté». Il ajoute que le nombre d’accidents liés à un virage au feu rouge représente moins d’un pour cent de tous les accidents.

«Chaque accident est un accident de trop, on s’entend là-dessus. Le ministère des Transports, avec ses partenaires, fait beaucoup de sensibilisation auprès des usagers de la route pour améliorer le bilan routier chaque année», a déclaré en entrevue Guillaume Paradis, porte-parole du ministère.

«Bien évidemment, il faut s’améliorer sur le virage à droite sur le feu rouge. Malheureusement, il y a encore des gens qui maîtrisent mal cette manoeuvre-là», a-t-il ajouté.

La Presse canadienne a tenté en vain d’obtenir une entrevue avec le ministre des Transports, André Fortin.

«Cette mesure accueillie favorablement par les usagers de la route n’est, rappelons-le, pas obligatoire et se doit d’être effectuée conformément aux règles du Code de la sécurité routière puisque la priorité de tous doit être la sécurité», a affirmé son attachée de presse, Marie-Pier Richard, dans une brève déclaration.

«Alarmant», selon un organisme

Piétons Québec et Vélo Québec, deux organismes qui défendent les droits des piétons et des cyclistes, se montrent réfractaires au règlement.

Piétons Québec demande d’ailleurs à ce qu’il soit retiré dans son intégralité. À tout le moins, selon l’organisme, il ne devrait certainement pas être autorisé à Montréal comme l’avaient récemment demandé certains maires d’autres municipalités situées sur l’île.

Sa porte-parole, Jeanne Robin, juge que ces données sont alarmantes et selon elle, cela démontre qu’on ne peut faire confiance aux automobilistes pour qu’ils respectent le règlement.

«Ça ne devrait pas être une pratique dangereuse, mais visiblement, elle l’est malgré tout. Ça montre que de faire confiance aux bonnes pratiques et à la prudence des usagers de la route, ce n’est pas une stratégie très porteuse en matière de sécurité routière», a-t-elle soutenu au bout du fil.

«Normalement, l’objectif c’est d’améliorer la sécurité routière progressivement, donc on ne devrait pas autoriser une dégradation du bilan routier», a-t-elle ajouté.

Adapter selon le contexte

Nicolas Saunier, professeur au département de génie civil à l’école Polytechnique de Montréal, suggère au gouvernement du Québec d’accorder plus de pouvoirs aux municipalités pour qu’elles adaptent leur signalisation selon leurs besoins.

«Je pense que c’est vraiment une question de contexte. Là où il y a de la présence piétonne, là où il y a peut-être des clientèles vulnérables, où on veut encourager l’activité commerçante piétonne, il faut se poser des questions et peut-être donner plus de possibilités à un pouvoir local de faire le choix», a-t-il indiqué en entrevue téléphonique.

Mais il faudrait qu’il y ait une certaine cohérence, nuance-t-il.  «Ça ne peut pas changer à chaque carrefour, il faudrait que ce soit une règle dans une ville, ou en tout cas dans chaque quartier.»

Selon lui, ce règlement représente un choix de société, qui n’est pas «blanc ou noir».

«C’est toujours la même chose dans les questions de circulation. On veut rendre un service de transport rapide, efficace, mais aussi en sécurité. On voit bien qu’on est justement entre les deux», a-t-il expliqué.

«Il y a des vies d’un côté, et du temps et des impacts environnementaux de l’autre. Ce n’est pas évident.»

Le virage à droite sur le feu rouge au Québec

 

— Il a été adopté en avril 2003, sous le gouvernement péquiste de Bernard Landry.

 

— Cette manoeuvre est toujours interdite sur l’île de Montréal, dans quelques villes défusionnées de la région, et à New York.

 

— Le règlement visait à harmoniser la réglementation routière à celle de plusieurs provinces du Canada et des États-Unis.

 

— Il permet de gagner du temps et de diminuer les émissions de gaz à effets de serre, selon le ministère.