Sirop d’érable : un dossier qui colle aux dents

Comme on devait s’y attendre, le rapport Gagné sur le sirop d’érable a provoqué la colère de l’UPA et de sa Fédération des acériculteurs (FPAQ). Après avoir prétendu collaborer, l’UPA hurle maintenant que la misère se pointe, que ce rapport veut tout démolir, alors que démocratie et efficacité économique ont supposément été les préoccupations premières de la FPAQ.

Nuançons. D’abord, il était prévisible que l’UPA s’insurge : Le monarque n’a aucune intention de négocier avec ses sujets. Les allégations de démocratie rappellent les prétentions de l’ancienne Allemagne de l’Est, où un parti unique avait baptisé la nation « République démocratique allemande ». Ensuite, le processus des plans conjoints, en particulier celui du sirop d’érable, n’a rien de démocratique. Je produis moi-même du sirop depuis 15 ans et, à l’instar de milliers d’autres, je n’ai jamais reçu la moindre information, voire invitation, à me prononcer sur l’implantation d’une agence de vente obligatoire de sirop ou sur la mise en place de quotas. J’ai rencontré, lorsque ces mesures ont été mises en place, plus de mille acériculteurs en colère, dont même certains délégués me disaient avoir été informés par le biais de leur boîte aux lettres des décisions de leur fédération. À l’époque, au début des années 2000, la grogne était telle dans les assemblées de Beauce, que les fermiers ont expulsé les représentants de leur fédération, à tel point que la police a dû intervenir pour la protection des représentants. La fédération a ensuite dû faire le tri des personnes voulant assister aux assemblées.

Les plans conjoints n’ont rien de démocratique. Un petit groupe décide des règles du marché et les impose au reste de la société. Une centaine de gros éleveurs de poulet dicte les conditions pour les milliers d’autres, de même que dans le dossier du dindon, des lapins, etc. Ces règles sont ensuite confirmées par la Régie des marchés agricoles, ce qui leur donne force de loi, sans même être soumises à notre système parlementaire ou à l’avis des élus. Il s’agit d’un système parallèle à notre démocratie, situation décriée par le Barreau, d’ailleurs.

La FPAQ a outrepassé ses pouvoirs dans ce dossier, avec l’aval de la Régie des marchés. L’article 63 de la loi sur la mise en marché des produits agricoles stipule pourtant clairement que la mise en marché directement au consommateur n’est pas soumise à quelque plan conjoint, à moins que la Régie n’y voit une menace. De plus, le plan conjoint du sirop n’est pas supposé toucher la vente en petits contenants (« cannes et gallons »). La FPAQ en a quand même profité pour harceler ces producteurs avec une foule d’exigences de déclarations diverses. Et lorsque ces producteurs de sirop veulent se plaindre, on se doute bien qu’ils ne peuvent pas le faire auprès de leur syndicat.

Au sujet de la question économique, difficile de conclure au succès des opérations de la Fédération, qui a beau jeu de saisir la production et de ne pas avoir d’obligation pour vendre ce sirop. Les fermiers seront payés pour ce qui est vendu, tant pis pour le reste, et ils auront en prime à payer pour l’entreposage et la gestion de ce sirop non vendu qu’ils aimeraient bien pouvoir vendre eux-mêmes. N’oublions pas que la fameuse « réserve stratégique » est un avoir non payé aux producteurs, avoir dépassant la centaine de millions de dollars. Les frais de gestion du plan conjoint et l’ensemble de ce système font en sorte que nos producteurs québécois sont payés 50 sous la livre de moins que leurs concurrents. En plus, la concurrence étrangère peut vendre son produit librement sur notre marché, sans contrainte, sans menace de poursuite, et sans attendre un an avant d’être payé.

Le rapport Gagné mentionne une perte de 10% du marché depuis l’instauration de ce système totalitaire. En fait, le rapport Gagné tire cette affirmation du rapport Forest-Lavoie, publié un an plus tôt et commandé par la FPAQ elle-même! Et aujourd’hui, la FPAQ tente de nous faire croire que tout cela est faux? Le rapport Forest-Lavoie est d’ailleurs beaucoup plus pessimiste dans ses prévisions.

Le rapport Gagné n’est pas complet, entre autres parce qu’il évite la question du monopole de l’UPA. Ce que tous les rapports disent, c’est qu’il faut discuter de l’avenir, évaluer l’impact des décisions passées et faire des changements. Et actuellement, le système est tellement contrôlé par l’UPA et ses succursales que toute réflexion est bloquée. Même le ministre de l’agriculture n’a aucune prise à court terme, à moins de modifier les lois, ou à moins de quémander des assouplissements à la FPAQ. Le ministre a pourtant été élu. N’est-il pas grand temps d’accorder une liberté d’association en agriculture?

Maxime Laplante, agr

Vice-président et cofondateur de l’Union paysanne