Rencontre avec un chaman

Le Burkina Faso est un pays divisé entre tradition et modernité. Alors que les hôpitaux disposent de la technologie pour soigner, la médecine traditionnelle et les croyances populaires demeurent très répandues. Si ces méthodes sont efficaces : impossible pour moi d’en juger. Mais devant la foi inébranlable qu’ont certaines personnes face à celles-ci, j’ai presque envie de me laisser convaincre. Après tous, une bonne partie de la médecine traditionnelle s’appuie sur la guérison par les plantes, on peut presque parler de naturopathie.

De plus, ma mission en tant que stagiaire consistant à encourager la population locale à profiter des bienfaits des feuilles de moringa sur la santé, je ne suis pas trop en position pour rejeter le tout. Alors qu’on était en pleine activité de reboisement du bosquet de moringa dans la brousse (campagne africaine, là où il y a les serpents, les araignées et toutes les charmantes bestioles du genre), plusieurs habitants des environs sont venus nous donner un coup de main.

J’étais loin de me douter que le groupe comptait un chaman (guérisseur, sorcier, appelez ça comme vous le voudrez). Une fois le reboisement terminé, le vieux du groupe (vieux est le terme utilisé ici pour personne

âgée et c’est même un signe de respect de l’utiliser) disparaît pour revenir quelques minutes plus tard les deux poings fermés. Il s’approche de notre petit groupe qui était assis par terre et nous présente les paumes en prononçant le seul mot de français qu’il connaît : «Bonsoir!»

J’ai un mouvement de recul, mon instinct de survie se met en marche et mon cœur ne fait qu’un tour. Des scorpions *&%$/?%*!!!! et un peu trop près à mon goût. Pour ceux qui ne le savent pas, ces bibittes-là piquent, elles sont venimeuses et elles peuvent facilement causer la mort d’une personne adulte. Et le vieux en face de moi, ils jouent avec comme si c’était une poignée de chatons.

Hassane, mon collègue, ami et interprète à ses heures, m’explique : «On l’appelle le papa des scorpions, il a son grigri (sa magie), des médicaments dont lui seul connaît le secret, il est immunisé». Alors que je demeure plus que sceptique de l’efficacité de la magie du vieux fou aux scorpions et que je me dis qu’il est plutôt chanceux, le sorcier place le dard plein de venin du scorpion dans sa bouche (voir la photo). Tiens pour les sceptiques!

Curieuse, j’attrape Hassane comme interprète et je vais discuter un peu avec le vieil homme.

– «Comment se fait-il que le scorpion ne vous pique pas?»

– «Parce que j’ai le médicament.»

– «Et ça ressemble à quoi votre médicament?»

– «Des plantes, des feuilles et des écorces que je trouve dans la brousse.»

– «Et on doit le prendre à tous les jours ou seulement une fois dans sa vie?»

– «Une fois par année devrait suffire.»

– «Vous avez les médicaments pour tout : serpents, araignées, etc.?»

– «Oui, si vous m’amenez au Canada, je pourrais vous aider avec ça.»

– «Ah…Monsieur vous seriez bien malheureux au Canada, il n’y a ni serpent venimeux, ni araignée tueuse, ni scorpion mortel, vous ne pourriez plus être le papa des scorpions.»

Le vieux sorcier rit et réfléchit :

– « Je peux aussi soigner le mal de tête!»

– «Oh, ça, ça pourrait m’être utile!»

– «Vous avez mal où?»

Je n’aurais jamais pensé expliquer mes douleurs de migraines à un vieux chaman africain…

– «C’est un point de douleur, seulement d’un côté de la tête »

– «Ah oui! Je connais et j’ai ce qu’il faut chez moi, dans la brousse, à quelques kilomètres d’ici.»

J’ai refusé l’invitation en prétextant que là, je n’avais pas mal, mais que si c’était le cas, je saurais où le retrouver. J’ai vraiment été peureuse sur ce coup-là et la seconde d’après je regrettais mon refus. Je suis trop curieuse! Ça ressemble à quoi le repère d’un vieux sorcier de brousse? Et son grigri (médicaments)?

Pour ce qui est de ce fameux grigri, de son secret, c’était certain qu’il n’allait pas me le révéler, ni à moi, ni à personne présent sur place d’ailleurs. Quand on détient un tel savoir qui nous permet de manipuler quelque chose d’aussi dangereux qu’un scorpion, on le transmet seulement à un fils ou un apprenti sérieux, discipliné et responsable qui saura à son tour l’utiliser avec sagesse. Dans son cas, le vieux sorcier n’a pas d’enfant et, dans ce pays de tradition orale, son savoir risque de mourir avec lui.

Par Marie-Michèle Thibodeau