L’ex-policier Philippe Paul se confie… dans un livre

VICTORIAVILLE. Philippe Paul a grandi à Victoriaville, ses sœurs y habitent toujours. Fils de Victor Paul, comptable agréé, écrivain et engagé en politique, Philippe a quitté les Bois-Francs en 1986 en devenant policier pour le Service de police de la Ville de Montréal. Une carrière de 28 ans, dont plusieurs à titre d’enquêteur. Il a pris sa retraite à la suite d’allégations qui lui laissent un goût amer.

Le fait de faire partie des forces de l’ordre lui commandait le silence. Mais un an après son départ, le Victoriavillois d’origine a décidé de parler. Et il a décidé de le faire par l’intermédiaire d’un livre, lancé à la fin d’avril, et intitulé Coupable d’être policier, mémoires d’un enquêteur tenace aux éditions Druide.

Le cinéaste Denys Arcand a signé la préface, un genre de retour d’ascenseur. «Étant spécialiste en héroïne, je l’avais aidé lors de son film Les invasions barbares. Une partie de son film traitait de ça. Il m’a rendu la pareille en rédigeant la préface de mon livre», dit-il.

Il s’agit d’un bouquin sur sa carrière policière, sur certaines de ses enquêtes importantes. Mais l’ex-policier s’exprime aussi pour laver sa réputation.

Philippe Paul a fait l’objet d’allégations de corruption. Tout a commencé, confie-t-il, à l’aube d’un procès d’un caïd de la mafia montréalaise que Philippe Paul a arrêté. «Une émission spéciale a été diffusée à mon sujet. On y faisait état d’un policier, d’un enquêteur vedette qui arrêtait des tueurs à gages, des trafiquants de drogues. On faisait état de ma vie privée, de ma compagnie de télécommunications par satellite, du fait que je contrôlais le plus d’informateurs au Canada, et c’est vrai, raconte-t-il, en entrevue dans les bureaux du www.lanouvelle.net. Mais la partie la plus touchante de l’émission est celle où on laissait sous-entendre de possibles ramifications avec des espions iraniens. On laissait supposer que j’étais trop près de mes informateurs, que j’étais payé par le gouvernement iranien.»

Ces allégations ont déclenché une enquête. «À l’époque, non seulement Ian Davidson, mais aussi Benoît Roberge, un policier élite de Montréal, avait été arrêtés et trouvés coupables de corruption, d’avoir transmis des informations. On venait peut-être, croyait-on, d’avoir trouvé un autre policier ripou», mentionne Philippe Paul.

Le temps de l’enquête, la police de Montréal décide de le suspendre. «Mais deux jours plus tard, note-t-il, je prenais ma retraite à laquelle j’avais droit depuis trois ans.»

Philippe Paul a voulu s’expliquer pour rétablir les faits. «Mais ce livre, malheureusement pour certains, ne contient presque pas de noms. Je ne l’ai pas écrit pour salir des gens, souligne-t-il. Je l’ai fait pour livrer l’histoire d’un enquêteur vu par lui-même avec beaucoup d’enquêtes inédites que les lecteurs auront du plaisir à lire.»

Sur la ligne de feu

Philippe Paul a vécu une carrière pour le moins mouvementée. Il a fait ses débuts comme patrouilleur dans le quartier Côte-des-Neiges. «Un quartier assez «rough» où s’effectuaient beaucoup de trafics de stupéfiants. On m’a rapidement affecté, en civil, à des groupes d’intervention locaux pour contrer la vente de stupéfiants et les introductions par effraction», raconte-t-il.

Dans Côte-des-Neiges se trouvait l’École Polytechnique où le policier est intervenu lors de la fusillade du 6 décembre 1989. «À l’époque, on croyait à une prise d’otages. On nous avait demandé de cerner l’école. J’étais en civil, relate Philippe Paul. J’ai été le premier policier à entrer. J’ai décidé de passer outre la directive et d’entrer pour tenter de le localiser (Marc Lépine) et de le tuer. Mais il venait de s’enlever la vie.»

Un événement, certes, qu’il ne pourra oublier. «Certaines filles sont mortes dans mes bras, se souvient-il. J’en ai sauvé une que je n’ai jamais revue.»

Le policier est aussi intervenu en 1992 lors de la tuerie à l’Université Concordia. «J’ai tenu en joue Valérie Fabrikant. J’étais également au Collège Dawson lors de la fusillade (en 2006). J’y étais après avoir été appelé en renfort. Je sortais alors du palais de justice.»

Puis, un bon jour, Philippe Paul se retrouve enquêteur et agent double à la section des stupéfiants. «Ce qui m’a catapulté, ensuite, à la division du crime organisé au sein de laquelle j’ai mené plusieurs enquêtes majeures, certaines que j’aimais, d’autres que je n’aimais pas, mais qui étaient nécessaires», admet-il, faisant référence au cas du policier Ian Davidson. «Ce ripou voulait vendre la liste de nos informateurs, indique l’ex-policier. Et comme je contrôlais le plus d’informateurs, je voyais la vie de ces 2000 personnes en danger. Il fallait faire quelque chose. J’ai donc démarré une enquête avec un collègue. Elle m’a mené au Costa Rica pendant plusieurs semaines. L’enquête a mené à la chute et au suicide de ce policier corrompu.»

En danger

«J’ai vu pas mal d’action, assez pour être fatigué», fait remarquer Philippe Paul dont la vie, à force de traquer les bandits et les puissantes organisations criminelles, a été menacée. «J’ai eu des contrats sur ma vie par le crime organisé. Je devrai me méfier le reste de ma vie», raconte l’homme pour qui les questions de sécurité deviennent une habitude.

«Par exemple, au restaurant, je m’assois aux endroits pour mieux voir les portes d’entrée, dit-il. Je regarde toujours qui me suit, j’emprunte des chemins différents pour revenir à la maison. Je ne deviendrai pas une créature d’habitude.»

Avec un tel emploi qui amène son lot de stress à explorer les côtés sombres de l’humain, Philippe Paul a su trouver avec sa compagnie une soupape. «Étant plongé dans des enquêtes profondes avec les tueurs à gages, les trafiquants, à un moment, c’est bon de voir autre chose, et ça me faisait aussi voir un après-carrière. Ça me permettait de voir autre chose que la police», explique-t-il, tout en ajoutant que des centaines de collègues occupaient aussi un autre emploi.

«Qu’on soit policier, pompier, beaucoup de personnes ont d’autres occupations», répond-il quand on lui demande si un policier ne devait pas se concentrer sur son travail pour éviter de se placer dans de possibles situations délicates.

Pilote de brousse, Philippe Paul a démarré une compagnie de téléphone par satellite qui fonctionne bien, qui commence à s’étendre aussi à la région des Bois-Francs. «Un téléphone satellite permet la communication là où les ondes cellulaires ne portent pas, comme dans les bois, dans le Grand Nord. Il peut s’avérer fort utile aux chasseurs, pêcheurs, amateurs de plein air. J’ai envoyé à l’époque des téléphones en Haïti après le séisme. J’ai fait de même récemment au Népal pour les équipes de soutien», dit-il.

Un ex-policier satisfait

Philippe Paul reconnaît qu’une carrière comme la sienne a été marquée par des hauts et des bas. «Si c’était à refaire, changerais-je des choses? Sûrement, dit-il, on n’est pas parfait.»

Mais somme toute, l’ex-enquêteur pense avoir bien tiré son épingle du jeu et il remercie la police de Montréal de lui avoir permis de vivre pareille carrière. «J’ai réussi de belles choses, observe-t-il. J’ai sauvé la vie de plusieurs personnes.»

Toutefois, que sa carrière prenne fin sur une note laissant planer des doutes sur son intégrité, le Victoriavillois d’origine trouvait cela pour le moins difficile.

«Qu’on cible les personnes corrompues, c’est correct, mais qu’on cible les mauvaises personnes, je trouve cela malheureux, surtout que ces allégations lancées en l’air sont non fondées. Jamais personne ne lèvera la main pour se dénoncer. Mais je sais d’où ça vient», confie-t-il.

Croit-il que le livre, écrit en collaboration avec son cousin Raymond Paul, saura effacer les soupçons? «Écoute, tu peux être un très bon policier tout au long de ta carrière, il y en a toujours qui vont te dénigrer. On peut bien faire paraître ou faire mal paraître quelqu’un en lançant des histoires en l’air, ce qui a été le cas à mon égard. Mais je pense que la majorité des gens vont comprendre», dit-il.

Il ajoute : «Je dis aux gens : formez votre opinion. Une chose est sûre : ceux qui pensaient que j’étais corrompu vont devoir se rasseoir et faire leurs devoirs, ce n’est pas le cas.»