Courtemanche, un délinquant dangereux? Au juge de trancher

VICTORIAVILLE. Le juge Jacques Trudel de la Cour du Québec, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries de la poursuite et de la défense, devra trancher et déterminer s’il déclare Réal Courtemanche délinquant dangereux. Le magistrat fera connaître sa décision le vendredi 17 avril.

La procureure aux poursuites criminelles et pénales, Me Ann Marie Prince, estime que la seule solution consiste à déclarer Courtemanche délinquant dangereux et à lui imposer une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée.

En défense, Me Matthieu Poliquin a fait valoir que le ministère public n’avait pas rempli les critères pour justifier sa requête. Il a soutenu que son client méritait une peine de détention conventionnelle, suggérant une peine de huit ans de pénitencier.

Les faits

Courtemanche est cet individu de 52 ans, qui habitait à Princeville, et qui a été reconnu coupable, le 28 mars 2014, d’enlèvement, de séquestration, de voies de fait armées, de menaces de mort, de déguisement et de port d’arme.

En soirée le 30 juin 2011, le quinquagénaire avait pris place sur le siège arrière du véhicule de sa victime qui avait fait une halte dans un dépanneur de Princeville.

Armé d’un couteau, Réal Courtemanche avait menacé de tuer la jeune femme si elle ne lui obéissait pas. Il lui avait ordonné de se rendre derrière une entreprise du parc industriel de Plessisville. À un moment, la victime avait réussi à se défaire de l’emprise de l’homme pour obtenir l’aide du chef pompier qui passait dans le secteur.

La version de la poursuite

Première à prendre la parole pour sa plaidoirie, Me Prince a affirmé que la poursuite s’est acquittée de son fardeau, remplissant les critères motivant sa requête. «La défense n’a pas été convaincante dans sa preuve, a-t-elle dit. La preuve de la défense n’est pas parvenue à ébranler celle de la poursuite. La psychologue a travaillé avec la version de l’accusé, une version non retenue par le Tribunal. Cette experte ne saurait éclairer la Cour.»

Réal Courtemanche, a fait valoir la Couronne, est un homme aux valeurs criminelles. «Un homme pour qui il est difficile de vivre dans la communauté, dans le respect des règles. Il n’est pas gérable entre les murs. Comment le serait-il en société?», a demandé Me Prince évoquant les rapports des services correctionnels comportant différents manquements.

«L’homme présente un non-respect persistant face aux mesures d’encadrement. Il y a une violence permanente tant en prison qu’à l’extérieur. Il montre une incapacité à se contrôler», a souligné la représentante du ministère public.

Le rapport de son expert psychiatre révèle, selon elle, une indifférence marquée chez l’individu qui «banalise à outrance les conséquences dévastatrices pour la victime».

Me Ann Marie Prince a rappelé le passé criminel de Courtemanche, un individu «presque institutionnalisé». «Depuis le début de sa majorité, il a passé presque plus de temps en détention que dehors. Et dès qu’il en a eu l’occasion, il a récidivé. Au moment où il a enlevé la dame, il avait une cause pendante. Il n’a pas eu le temps de régler son dossier qu’il recommençait, a-t-elle plaidé. C’est un homme très impulsif, incapable de se contrôler et de respecter les règles de la société.»

La situation commande, selon elle, que Réal Courtemanche soit déclaré délinquant dangereux. «Il s’agit de la seule solution. On n’a pas le choix, a-t-elle exprimé. Nous sommes en présence d’un individu qui ne peut contrôler ses gestes.»

Et même si le magistrat peut désormais fixer une peine dans le cas d’un délinquant dangereux, Me Prince a milité pour une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée. «Oui, il s’agit d’une mesure exceptionnelle, une mesure de dernier recours, mais il s’agit d’un individu impulsif, éprouvant des difficultés à se contrôler. Toutes les mesures d’encadrement se sont soldées par un échec. Le psychiatre a indiqué qu’il n’existait aucun traitement pour la psychopathie. Le pronostic est excessivement sombre, a signalé la procureure. Il faudrait un virage à 180% pour le voir devenir un risque que la société peut assumer.»

Parce qu’il est difficile, a-t-elle poursuivi, de prédire le moment où l’homme pourrait devenir gérable pour la société, l’avocate du ministère public a fait savoir au juge Trudel qu’il lui était fort difficile de déterminer une possible peine fixe.

Mais si cela devait être le cas, Me Prince a suggéré une peine de 10 ans de détention en plus d’une période de surveillance de même durée.

Pas un cas de délinquant dangereux

La déclaration d’un individu délinquant dangereux constitue une exception, a soutenu, dès le départ, l’avocat de Courtemanche, Me Matthieu Poliquin.

«Il s’agit d’une mesure exceptionnelle, de dernier recours qui s’applique à un groupe restreint et à une certaine catégorie de criminels», a signalé Me Poliquin, précisant que le pays ne comptait pas plus de 500 délinquants dangereux.

Selon lui, cette mesure ne s’applique pas à tous les criminels dangereux. Elle doit être réservée aux délinquants qui font peser une menace constante sur la société. «M. Courtemanche n’est pas un ange, a-t-il reconnu. Mais la preuve n’a pas été établie hors de tout doute.»

Il ne suffit pas, selon Me Poliquin, de ne retenir que les antécédents criminels de l’homme de 52 ans qui a cumulé, au cours de sa vie, 84 condamnations. «De ce nombre, on compte 10 antécédents de violence entourant 5 événements, un vol qualifié en 91, trois vols qualifiés en 1998, un autre crime similaire en 2002 et une affaire de voies de fait armées en 2010. Le pourcentage en matière de violence se trouve peu élevé», a-t-il soutenu.

L’avocat a mentionné que l’alcool constitue la plus grosse problématique de l’individu. «On en fait beaucoup mention dans les rapports carcéraux. Et il est faux de dire que Monsieur n’est pas gérable. On constate, dans les rapports, des améliorations», a-t-il dit.

Me Poliquin est d’avis que les évaluations psychologiques des deux experts entendus ne permettent pas de conclure hors de tout doute au risque élevé de récidive en matière de violence.

L’avocat attaque même l’évaluation du psychiatre de la poursuite. Me Poliquin a affirmé que scientifiquement et professionnellement, les tests à caractère sexuel n’auraient pas dû être administrés à son client. «Ce sont des tests discriminatoires et dangereux, peu fiables. Ils ont biaisé l’évaluation du psychiatre», a confié l’avocat, disant avoir l’impression aussi «qu’il le voit pire qu’il est».

L’avocat de Courtemanche estime que le psychiatre a tiré des conclusions sur des informations pas nécessairement vérifiées. «Le psychiatre a vu les antécédents sans analyser les circonstances. Pourtant, il est nécessaire d’examiner le contexte pour voir s’il y a un pattern et un niveau de violence extrême lors des événements», a souligné Me Poliquin qui dit croire aussi que les résultats des tests démontrent un manque de fiabilité et de neutralité dans le rapport du psychiatre.

Me Poliquin a qualifié les résultats d’illogiques. «C’est le premier expert qui détermine que Monsieur est psychopathe. C’est assez étonnant comme résultat. Il a aussi affirmé qu’en termes de criminalité, c’était la crème de la crème. Or, quand on regarde les antécédents de mon client, on ne peut tirer cette conclusion. Cela ne concorde pas avec la fiche de M. Courtemanche. Le diagnostic de psychopathie ne correspond pas aux antécédents», a expliqué l’avocat, invitant le président du Tribunal à mettre de côté le rapport du psychiatre.

En revanche, l’avocat considère comme importante l’analyse clinique de la situation faite par son experte, une psychologue. «Dans ses conclusions, on voit une neutralité. Un rapport fait en toute honnêteté et neutralité. Elle est franche en indiquant un risque modéré de récidive de violence», a exprimé Me Poliquin.

En matière de peine, l’avocat a déposé plusieurs cas de jurisprudence, indiquant que la peine d’emprisonnement ne devait pas dépasser 10 ans, avant de suggérer une détention de huit ans qui lui apparaît raisonnable.

Réal Courtemanche prend la parole

Invité par le juge Trudel à s’exprimer, s’il le souhait, Courtemanche a tenu a dit regretter. «Je regrette ce qui s’est passé, je ne l’ai pas voulu. Je n’étais pas parti de chez moi pour kidnapper quelqu’un et lui faire du mal», a-t-il dit.

Depuis 2011, il n’a pas été impliqué dans des incidents violents, pas plus qu’il n’a proféré de paroles violentes, selon lui. «Je ne me pardonne pas plein de choses», a-t-il confié, ajoutant devoir prendre des médicaments pour des troubles de sommeil et d’anxiété.

«J’en souffre, j’ai des regrets, des remords. Chaque jour, je pleure, je ressens de la culpabilité. Mon garçon de cinq ans me manque», a-t-il souligné également.

Le magistrat l’a questionné, à un certain moment. «Vous avez dit, au départ, que ce n’était pas voulu. Mais dans l’auto, vous avez continué. Une fois rendu dans le bois, que vouliez-vous?», a interrogé le juge.

«Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas», a-t-il répondu avant de reprendre le chemin des cellules.