Le geste d’un passant lui sauve la vie

C’était le matin du 22 décembre.

Ma famille a été ébranlée par une nouvelle brutale : ma sœur ainée, 34 ans, a eu une «crise cardiaque» au volant, alors qu’elle venait de quitter la maison. Comment cela s’était-il passé exactement, nous ne le savons pas. Elle a sûrement senti un malaise arriver, car sa voiture s’est logée dans un banc de neige tout près du Cinéma Galaxy sans causer de dommage au véhicule. Le banc de neige, lui, était situé dans l’accotement de la voie inverse.

Ce détournement de trajectoire a attiré l’attention d’un conducteur qui la suivait; ce bon samaritain s’est arrêté et a tout de suite vu que ça n’allait pas. L’appel au 911 a été logé immédiatement et une voiture de patrouille est arrivée sur les lieux dans les minutes qui suivirent l’appel; les patrouilleurs André Lemay et Stéphane Lemieux étaient déjà sur cette route.

Étendue dans la neige, les manœuvres ont été performés sans tarder par l’agent Lemay. Les ambulanciers sont arrivés et ont défibrillé son cœur : nous avons su plus tard qu’il ne s’était pas arrêté, mais battait en arythmie qui aurait pu lui être mortelle.

Tout s’est passé tellement vite que les informations, qui ont circulé dans les heures qui ont suivi, étaient quelque peu étourdissantes. À son arrivée à l’hôpital, on demandait à mon père si les documents de don d’organes étaient signés; est-ce qu’il faut s’attendre au pire?

Puis la poussière a commencé à retomber. Les premiers signes de combat étaient visibles : elle essayait de respirer d’elle-même malgré les tubes.

Combien de temps avait-elle été en arrêt cardiaque ? Bien que nous sachions maintenant que son cœur n’a jamais cessé de battre, les médecins de l’HDA ne connaissaient pas encore la réponse.

Huit minutes. C’est le temps que l’on considère critique. Le temps où le cerveau en manque d’oxygène passe de «tout va bien» à «que suis-je?». Ils l’ont donc mise sur la glace. Littéralement. 33 °C. Pour 24 longues heures. Elle a été transférée au CHUS à Fleurimont, car l’HDA n’avait pas d’équipement disponible pour tenir le corps en hypothermie; un premier signe positif puisqu’on nous avait dit qu’elle ne serait pas transférée si son état n’était pas stable.

Coma artificiel, hypothermie contrôlée, paralysie temporaire, anesthésie générale… quand je suis entrée dans sa chambre d’hôpital au CHUS à 18h ce soir-là, j’avais les jambes molles : elle était branchée de partout et couchée sous une couverture d’eau glacée.

La médecin interniste nous a tout expliqué, gentiment, délicatement, pendant 20 minutes. Elle utilisait des mots qu’on comprenait pour faire tomber l’angoisse. Les examens étaient positifs; ses pupilles se dilataient normalement, elle réagissait au test de douleur. Malgré ce positivisme, elle nous avisait que la seule façon de connaître les dommages était d’attendre son réveil. Elle nous serra la main et nous dit de prier pour un miracle de Noël.

Le 23 décembre

Son corps combattait le froid; elle frissonnait malgré toutes les solutions intraveineuses. Ma sœur a toujours été une battante, elle ne se laissait pas faire, même inconsciente. Mais il fallait s’armer de patience, car ces 24 heures pouvaient être décisives. À 21 h, ils la laisseraient «dégeler» tranquillement : 1 °C toutes les 3 heures.

Le 24 décembre

En attendant, comme je suis la seule de la famille à demeurer à Sherbrooke, ma maison servait de point de rassemblement pour les proches. En invitant tout le monde pour le dîner, chacun des adultes pouvait se relayer à son chevet. À 15 h, elle a ouvert les yeux. Son conjoint et mon père étaient dans la chambre. «Est-ce que tu me reconnais?» lui a demandé mon père. Elle a fait signe que oui.

Chez moi, le téléphone sonna alors que les enfants faisaient la sieste. «Marylène, c’est ton père. Karine est réveillée. Elle nous a reconnus.» On a éclaté en sanglots. Tous. Je ne me rappelle plus ce qu’il m’a dit après ça. Elle s’était réveillée et avait toute sa tête. Des trous de mémoire, mais toute sa tête.

Le 25 décembre, elle était de nouveau transférée à Victoriaville, car son état était satisfaisant. Nous avons remercié l’équipe des soins intensifs de Sherbrooke pour ce qu’ils ont fait; nous avons eu notre miracle de Noël.

Elle a complété sa convalescence à l’Hôtel Dieu d’Arthabaska. Tous les jours, elle allait un peu mieux. Les trous de mémoire sont toujours présents, mais tout est normal. Elle est retournée à la maison le 29 décembre en soirée. Elle est sauvée.

Si ce n’avait été de l’intervention immédiate de ce passant (dont nous ignorons l’identité), de ces policiers, André Lemay et Stéphane Lemieux, des ces ambulanciers et des équipes de soins apportés par les deux hôpitaux, vous ne seriez pas en train de lire ces lignes, mais probablement un paragraphe dans la section Décès. Un simple appel au 911 lui a sauvé la vie.

Ma famille se joint à moi pour souligner toute la gratitude que nous éprouvons envers ces personnes qui ont sauvé Karine; une fille, une grande sœur, une conjointe, une mère de famille.

Marylène Gélinas

pour les familles Gélinas et Poiré