Vivre avec des voix dans sa tête

«Esti d’innocent! Quand as-tu mangé un repas équilibré pour la dernière fois? J’ai peur! Sacre ton camp de là! Je veux ta peau; je veux que tu meures pour que je puisse prendre ton corps!» Effrayant? Ce sont des exemples de voix, toutes différentes, que Serge Tracy a entendues dans sa tête depuis une quinzaine d’années. Pourtant, l’homme n’est pas dangereux, bien au contraire. Psychologue de formation, il souhaite aider ceux qui comme lui entendent des gens qui ne sont pas là. Bienvenu dans le monde des entendeurs de voix.

Quand on pense à quelqu’un qui entend des voix, on pense à un dangereux psychopathe armé d’un couteau et d’intentions macabres. Or les voix ne sont pas nécessairement persécutrices. Certaines sont même bienfaisantes.

«Les voix font peur aux gens. Les personnes qui en entendent sont perçues négativement, n’ont pas d’écoute, vivent une grande détresse et un sentiment d’impuissance. Traditionnellement en psychiatrie, on tentait de supprimer les voix en partant du principe qu’en parler pouvait accroitre le problème», explique d’entrée de jeu Brigitte Soucy. L’agente de développement pour Le Pavois est en charge des groupes d’entendeurs de voix, un programme de soutien et de formation pour aider les personnes qui entendent des voix à reprendre du pouvoir sur leur vie.

Origine et fonctionnement

Ces groupes qui favorisent échanges et témoignages ont été instaurés pour la première fois il y a 25 ans par le psychiatre Marius Romme aux Pays-Bas. À Québec, le premier groupe a été fondé par le Pavois en 2007. Depuis, l’organisme a formé 15 groupes dans la province de Québec qui sont maintenant soutenus par l’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale (AQRP).

Les rencontres hebdomadaires permettent d’outiller les entendeurs de voix. «Nous savons que les personnes qui entendent des voix peuvent reprendre du pouvoir sur leur voix et leur vie. Elles peuvent passer de victime à vainqueur de leur voix. La plupart des entendeurs de voix connaissent et utilisent quatre stratégies d’adaptation alors qu’il en existe plus d’une trentaine», explique Brigitte Soucy.

Résultats

Serge Tracy a entendu des voix pour la première fois en 1999 après une suite de traumatismes. La première fois, il a cru entendre le mot «Christ!» caché derrière le bruit de clés qu’il venait d’échapper sur le sol. Les voix ont ensuite pris de plus en plus de pouvoir sur sa vie, le menant jusqu’à la psychose. Il s’est souvent promené, un cellulaire éteint collé à l’oreille, pour ne pas avoir l’air de se parler tout seul.

Il a cheminé par lui-même pendant de longues années avant d’apprendre qu’il existait des groupes de soutien. «Ça m’a permis de faire des pas de géants. Aujourd’hui, mon but n’est pas nécessairement de ne plus entendre de voix, mais de mieux vivre avec elles, d’être en harmonie avec mes voix. Je peux leur dire que je leur parlerai plus tard ou m’imaginer une porte que je referme sur elles. Je ne me laisse plus envahir comme avant», explique le Lévisien qui souhaite maintenant fonder un groupe d’entendeurs de voix sur la Rive-Sud.

Et même si les voix restent en lui, il apprécie d’échanger avec des gens qui le comprennent sans le juger. «Je suis tellement heureux d’avoir pu connaître ce groupe. On peut s’exprimer librement sans se faire dire que les voix n’existent pas réellement ou qu’il faut simplement ne pas y penser», termine M. Tracy.

Pour en savoir plus sur les voix : Mieux vivre avec les voix, de Brigitte Soucy et Myreille St-Onge aux Éditions Claude Bussière ou De psychologue à psychotique, de Serge Tracy aux Éditions Québec-Livres ou encore www.revquebecois.org ou b.soucy@lepavois.org.Le congrès de l’AQRP aura lieu du 10 au 12 novembre à Montréal

Quelques statistiques

Entre 4% et 10%

de la population entend des voix. La majorité n’a pas reçu de diagnostic.

Environ 80%

des personnes ayant un diagnostic de schizophrénie entendent des voix.

Les entendeurs de voix…

peuvent entendre une ou plusieurs voix, parfois jusqu’à une centaine. Ces voix sont souvent entendues clairement et le volume est semblable à celui d’une voix normale.