Morte, probablement asphyxiée, dans sa maison insalubre

VICTORIAVILLE.Triste histoire que celle-là, triste fin surtout pour la Victoriavilloise Marjolaine Bilodeau décédée il y a un an dans sa maison. On a découvert son corps nu étendu sur un carton déposé dans son salon sur un amoncellement d’au moins trois pieds de bouteilles de bière vides, la tête sous son piano.

C’est là, que, depuis des années probablement, elle avait pris l’habitude de dormir, puisqu’elle n’avait plus accès à sa chambre. Ni à aucune des pièces de sa maison, toutes jonchées de plusieurs couches de détritus, bouteilles de bière, vaisselle sale, déchets, crottes de chien, un cas patent d’insalubrité morbide.

L’enseignante à la retraite, aux prises avec des problèmes cardiaques, aurait probablement suffoqué dans l’atmosphère irrespirable de sa maison en ces jours de grande chaleur de juillet 2013. Morte, asphyxiée, en déduit son frère.

On l’a découverte le samedi 20 juillet, mais sa mort serait probablement survenue quelques jours auparavant, vu l’état de putréfaction de son cadavre.

C’est sa chienne, laissée à elle-même à l’extérieur depuis quelques jours qui a ameuté le voisinage. L’animal, affamé, se lamentait, grattait à la porte. On a finalement appelé la police pour découvrir l’ampleur du drame, la mort de la propriétaire du 29, rue Richelieu… et l’état des lieux.

«On est tous responsables»

«On ne veut pas trouver le ou les coupables. Parce que, en fait, elle d’abord, nous sa famille, les voisins, on est tous responsables. Si on avait su dans quelles conditions elle vivait, on aurait forcé sa porte ou appelé la police. Elle aurait été en colère contre nous, mais au moins, elle serait encore vivante», soutiennent Carole Huard et François Bilodeau, belle-sœur et frère de la victime de 64 ans.

Le couple, résidant à Saint-Nicolas, accepte de raconter la fin de Marjolaine afin d’éviter la répétition d’une autre histoire de ce genre.

«Au risque de passer pour une mémère, il faut ne pas se mêler de nos affaires quand on voit ou perçoit quelque chose d’étrange dans notre entourage. À trop se mêler de ses affaires, on risque de laisser crever quelqu’un», dit Carole. On le fait pour les enfants qu’on soupçonne victimes de maltraitance ou même pour les animaux. On a soigné et sauvé la chienne de Marjolaine… mais pas elle, déplorent ses proches.

Elle et François maintenaient un contact régulier avec «Marjo», surtout au téléphone. Ils la voyaient lorsqu’ils venaient à Victoriaville… jamais chez elle. Elle avait un jour décrété qu’elle ne voulait pas de visite! «Chacun a droit à son intimité!», avaient-ils convenu.

Sa porte était fermée à tout le monde. Pas question que les ouvriers s’affairant à réparer sa toiture entrent chez elle pour utiliser sa salle de toilettes. «Elle leur avait suggéré de s’installer des toilettes chimiques à l’extérieur!», raconte Carole. Et on a bien compris pourquoi elle ne voulait pas que Vidéotron lui installe un routeur pour la tablette qu’elle s’était achetée (son ordinateur étant perdu dans le capharnaüm de sa maison).

Un peu «sauvage»

À la retraite depuis cinq ans, Marjolaine vivait seule depuis une dizaine d’années. Elle était un peu «sauvage» et pas toujours commode, admettent son frère et sa belle-sœur. L’instabilité de son caractère, sa maniacodépression, probablement sa médication défaillante et sa consommation abusive de bière compliquaient les relations et ses appels téléphoniques n’étaient pas de tout repos.

Connaissant sa sœur, François s’attendait à ce que sa maison soit un peu en désordre lorsqu’il a appris son décès. Mais il a eu tout un choc quand il s’y est rendu. L’odeur pestilentielle d’ammoniac, la vue de tant de déchets et de saleté lui levaient le cœur. Il lui fallait se tenir aux murs pour marcher dans la maison transformée en poubelle géante. «Impossible de circuler sur des années d’accumulation de déchets. À voir toutes ces grosses bouteilles de bière vides j’ai estimé qu’elle en avait bu pour entre 25 000 $ et 30 000 $.»

D’ailleurs, un des voisins a fini par dire, après sa mort, qu’il avait trouvé suspect de ne plus entendre le bruit de bouteilles qui s’entrechoquaient depuis quelques jours. «N’aurait-on pas dû trouver anormal d’entendre depuis des années de tels bruits chez son voisin?», s’étonne Carole, ajoutant que même les éboueurs devaient se demander pourquoi ils n’avaient jamais à s’arrêter à cette adresse de la rue Richelieu.

À rebours, Carole repère des paroles qui auraient dû la faire réagir. «Elle m’a dit un jour au téléphone qu’elle n’était plus capable de marcher dans sa maison. C’était il y a des années de cela. Je lui ai dit : «Marjo, tu t’es blessée au pied? Je peux aller te chercher et t’accompagner chez le médecin. Évidemment, elle a refusé, comme toutes ces fois où je lui ai proposé de l’aider.»

À bien y penser, Marjolaine a non seulement accumulé des couches successives de déchets, mais a aussi superposé des couches de mensonges sur ses conditions de vie. «Elle était assez malade pour vivre là-dedans, mais pas assez pour se faire prendre!», dit encore Carole. Les dernières personnes à l’avoir vue ont dit qu’elle était sale et qu’elle sentait mauvais. Lorsqu’on l’a trouvée, morte, on a bien vu que sa «mobilité» était considérablement réduite; elle ne tenait qu’à ses clés, son portefeuille, ses cigarettes déposées sur le piano.

Elle s’est progressivement isolée, prisonnière de sa maison, ne s’est pas même rendue aux funérailles de sa sœur décédée en 2012. Christiane, une de ses amies, l’a dépeinte comme une «itinérante dans sa maison».

«C’est pire encore, parce que, au moins, les itinérants vivent au grand air», ajoutent Carole et François.

Ironiquement, la mort de l’enseignante à la retraite est survenue un mois presque jour pour jour après l’annonce d’une entente entre la Ville de Victoriaville, le CSSS d’Arthabaska-et-de-l’Érable et la Direction de santé publique afin d’encadrer les procédures d’intervention dans les cas d’insalubrité morbide. (http://www.lanouvelle.net/Actualites/2013-06-21/article-3286091/Une-entente-pour-contrer-l%26rsquoinsalubrite-morbide/1).

Sans avoir pris connaissance de cette entente, François dit qu’il devrait y avoir une adresse, une porte à laquelle il faut frapper lorsqu’on soupçonne un cas de ce genre. «Où sont les ressources? La police n’est peut-être pas toujours le moyen le plus approprié pour intervenir pour des troubles comme ceux-là…»