Les régions ont soif de connexions plus rapides

Si ce n’était de Navigue.com, Saint-Godefroi, une municipalité gaspésienne de 390 habitants, serait un village vieillissant comme on en trouve tant d’autres en région. Or, l’école primaire du village, fermée depuis longtemps, est aujourd’hui le siège social d’une société de télécommunications florissante de 20 employés. Avec 118 sites de transmission répartis le long de la côte sud de la Gaspésie, Navigue.com permet à de plusieurs villages d’accéder à l’Internet haute vitesse via la technologie sans-fil WiMAX.

«Les fournisseurs nationaux, ils font la partie rentable et, le reste, ils ne s’en occupent pas, explique Borromée Thériault, président de Navigue.com et ancien ingénieur pour Bell Canada. Nous, on est une entreprise qui s’est fait connaître en offrant de la couverture au dernier mille.» La société gaspésienne fournit ainsi une connexion d’entre 5 et 6 Mbit/s à plus de 3500 résidences et entreprises, mais peine encore à couvrir certaines zones, notamment à Percé.

Pour inciter les fournisseurs comme Navigue.com à couvrir des zones pas forcément rentables, le gouvernement fédéral s’est engagé à investir jusqu’à 305 millions au courant des prochaines années. Le programme Un Canada branché, qui relève d’Industrie Canada, devrait ainsi investir dans des projets visant à offrir l’Internet haute vitesse à quelque 280 000 foyers qui en sont privés à l’échelle du Canada. Si le projet présenté par Navigue.com obtient le feu vert d’Industrie Canada, les foyers de Percé mal desservis pourraient bientôt bénéficier d’une connexion de 5 Mbit/s.

La haute vitesse trop lente en région

Au Québec, les fournisseurs du «dernier mille» sont souvent des coopératives, quoique Navigue.com n’en soit pas une. Aussi, la Fédération des coopératives de câblodistribution du Québec (FCCQ), qui chapeaute quelque 60 fournisseurs desservant 65 000 abonnés, est bien placée pour comprendre les enjeux d’accès à Internet en région. Son directeur général associé, Gaston Dufour, considère que les gouvernements font fausse route en faisant du seuil de 5 Mbit/s l’objectif à atteindre en région : «Ce n’est pas une vitesse très très rapide, 5 Mbit/s, et on a besoin de beaucoup plus que ça si on veut créer des emplois en région», commente-t-il.

Selon Gaston Dufour, la capacité des coopératives desservant le dernier mille à offrir des liens plus rapides à leurs membres est limitée par les fournisseurs traditionnels. Propriétaires des autoroutes régionales et nationales de fibres optiques auxquels les fournisseurs ruraux doivent se connecter, ils n’ont pas intérêt à susciter une compétition accrue. «Ces fournisseurs s’arrangent, dans leurs ententes avec les petits joueurs, pour ceux-ci n’offrent pas de vitesses supérieures à celles qu’ils offrent déjà, que ce soit 5, 10 ou 15 Mbit/s», décrie Gaston Dufour de la FCCQ.

En Abitibi, Sylvain Caron, président de la coop Vert L’Avenir, relate ne pas être parvenu à s’entendre avec Bell, son fournisseur de bande passante, lorsqu’il a voulu offrir des forfaits plus performants à ses abonnés. «Ils me disaient qu’ils ne pouvaient pas m’offrir la bande passante que je voulais et leur prix était cinq fois et demie celui que j’ai réussi à négocier avec un fournisseur de Montréal», relate Sylvain Caron. Aussi, depuis mars 2014, le réseau régional de Vert L’avenir, qui offre l’Internet haute vitesse par Wi-Fi à près de 2000 abonnés, dont 100 entreprises, est connecté à celui de Fibrenoire, qui exploite son propre réseau de fibres optiques.

Un enjeu politique

Au-delà des enjeux commerciaux, l’infrastructure de fibre optique ne serait tout simplement pas en place dans plusieurs régions. Or, Gaston Dufour, directeur général associé de la FCCQ, considère que les régions sont desservies par le jeu de la compétition, qui amène les principaux fournisseurs à travailler chacun de leur côté sur leur réseau de fibres optiques. « Bâtir quatre autoroutes en parallèle, ce n’est pas bien productif», image-t-il.

Pour Yves Poppe, un consultant spécialisé dans les réseaux à grande échelle de fibre optique, l’argument de Gaston Dufour tient la route. «Traditionnellement, ceux qui sont propriétaires des grandes artères [de fibre optique], il faut qu’ils se fassent pousser le derrière pour partager. Il faut que le régulateur, le CRTC, soit assez ferme. Malheureusement, le CRTC est un peu trop dans la poche des Bell et des Vidéotron de ce monde.»

Selon Yves Poppe, l’attitude conciliante du CRTC est en partie responsable du retard qu’a pris le Canada par rapport à l’Europe, où les régulateurs auraient les dents plus longues. En Suisse, notamment, l’Internet à haut débit est considéré comme un service universel, de sorte que les fournisseurs sont tenus d’offrir au moins 2 Mbit/s. Dans les faits, toutefois, 93% des Suisses ont une connexion d’au moins 4 Mbit/s (contre 83% au Canada) et 54% d’entre eux, une connexion d’au moins 10 Mbit/s (contre 33% au Canada) selon les données d’Akamai.

La longueur d’avance sur le Canada de plusieurs pays européens, dont la Roumanie et la République tchèque, pourrait aussi s’expliquer par la volonté politique de l’Union européenne. En effet, l’adoption de l’Internet à très haut débit fait partie des objectifs adoptés par la Commission européenne dans son Agenda numérique. L’institution vise ainsi à ce que 50% de la population de l’Union européenne dispose d’une connexion de plus de 100 Mbit/s d’ici 2020.

Outre la voie réglementaire, Yves Poppe estime que les municipalités mal desservies pourraient améliorer leur sort en investissant dans leur propre réseau de fibres optiques, une approche privilégiée par de nombreuses villes en Suède, où 44% de la population dispose d’une connexion de plus de 10 Mbit/s selon Akamai.

Gaston Dufour, pour sa part, s’inquiète de l’impact de la vitesse d’Internet sur l’économie des régions, mais aussi, sur l’éducation de ses jeunes. Pour lui, l’enjeu n’est pas technique, mais bien politique : «Il faut que le gouvernement détermine que la très haute vitesse, c’est une priorité, et qu’il force les fournisseurs d’accès à se moderniser», clame-t-il.

La très haute vitesse difficile à obtenir à Montréal

On pourrait croire que ce ne sont que les PME en région qui doivent composer avec une connexion trop lente pour leurs besoins. Or, même au cœur de Montréal, certains secteurs n’ont pas accès des forfaits à très haute vitesse auprès des fournisseurs traditionnels. C’est le cas des Éditions Les Malins, une maison d’édition située à deux pas de la station de métro Beaudry.

«Avec six employés connectés en même temps et tous nos fichiers lourds qui se sauvegardent automatiquement sur Dropbox, c’est clair qu’on aurait besoin de quelque chose de plus rapide», déplore Marc-André Audet, PDG de l’entreprise.

Disposant d’une connexion de 60 Mbit/s (et de seulement 10 Mbit/s en téléversement) fournie par Vidéotron, Marc-André Audet aurait aimé passer à une connexion plus rapide, mais ni Videotron ni Bell n’offrent une vitesse supérieure dans son secteur.

Définitions

Mbit/s

Il s’agit de l’abréviation de Mégabits par seconde, une unité de mesure qui permet de mesurer la vitesse d’une connexion Internet. Elle correspond au nombre de mégabits (un million de 0 et de 1) qui peut transiter par une connexion Internet chaque seconde. À moins d’une indication contraire, tous les débits exprimés en Mbit/s dans cet article sont en téléchargement.

Internet haute vitesse

Une connexion Internet est considérée à haute vitesse lorsque son débit est d’au moins 5 Mbit/s.

Internet à très haute vitesse

Une connexion Internet est considérée à très haute vitesse lorsque son débit est d’au moins 100 Mbit/s.