De retour de Clipperton avec l’envie d’y retourner

AVENTURE. Sitôt revenus de l’expédition scientifique internationale qu’ils ont dirigée dans un coin perdu de l’océan Pacifique sur l’île inhabitée de Clipperton, Michel Labrecque et Julie Ouimet, deux plongeurs expérimentés des Bois-Francs, envisage déjà y retourner pour terminer leur mission. Retour sur ce périple hors du commun, effectué du 28 janvier au 11 février, et au cours duquel ils sont tombés sur des pêcheurs illégaux.

Michel Labrecque et sa conjointe Julie Ouimet ont pris le départ dans une embarcation longue de 87 pieds. Trois scientifiques, 11 passagers payants et neuf membres d’équipage accompagnaient les deux chefs d’expédition pour un total de 25 personnes sur le bateau.

Au départ, les deux Sylvifrancs s’attendaient à naviguer pendant 80 heures avant d’atteindre l’île de Clipperton située à environ 1400 km de San Jose del Cabo au Mexique. Or, pas moins de 117 heures de navigation ont été nécessaires pour s’y rendre, et 122 heures pour le retour.

«En principe, on devait faire une halte en chemin pour se reposer, mais ce fut cinq journées d’affilée», note Michel.

«Nous regardions passer les vagues. Il n’y avait pas grand-chose à faire», souligne Julie.

Les modifications apportées au bateau avant le départ pour assurer une meilleure stabilité dans les vagues ont affecté la vitesse, estime Michel Labrecque.

Des vagues, ils en ont affronté, jusqu’à 15 pieds de hauteur pendant près de deux jours. Par temps «calme», les vagues faisaient environ six pieds.

Après plus d’une centaine d’heures de navigation, les membres de l’expédition ont aperçu la fameuse île un matin vers 7 h. «En raison des vents, toutefois, on ne pouvait s’y rendre directement avec les zodiacs. On nous a largués dans la zone de brise-vent et nous avons dû nager avec nos équipements. Vers 11 h, nous étions sur l’île», relate Michel Labrecque.

Les observations

Une chose a frappé de plein fouet les deux résidents de Saint-Christophe-d’Arthabaska : la pollution. «On s’y attendait un peu, on savait qu’il restait des résidus de l’occupation américaine de l’île pendant la Deuxième Guerre mondiale. On y a constaté de vieilles munitions, dont certaines encore actives, témoigne Julie Ouimet qui se désole de la pollution extrême.

«Le plus important, toutefois, renchérit son conjoint, c’est davantage toute la pollution emportée par l’océan, des sandales, des bouteilles de plastique, des brosses à dents. C’est n’importe quoi, c’en est décourageant.»

Pêche illégale

On se doutait bien que le secteur faisait l’objet d’activités de pêche illicites, des soupçons confirmés par l’expédition.

«On a trouvé sur l’île un paquet de filets de pêche, des bouées, même un GPS marin utilisé pour la pêche intensive», note Michel.

Mais plus encore, les membres de l’expédition ont aperçu un imposant bateau d’environ 200 pieds. «Ils ont même envoyé leur hélicoptère pour nous espionner et pour nous intimider. Quand ils ont constaté que nous prenions des photos, ils ont rapatrié l’hélicoptère. Nous avons aussi envoyé notre drone. Finalement, quand ils ont vu que nous ne bougions pas, ils ont quitté les lieux», raconte Michel Labrecque.

Julie Ouimet pense aussi que le drapeau de la France qui flottait sur leur bateau a pu avoir un certain impact pour inciter les pêcheurs illégaux à rebrousser chemin. «En partant, ils étaient illégaux puisque des autorisations sont nécessaires», rappelle-t-elle.

«De plus, on ne peut se trouver, comme ils l’étaient, à intérieur des 12 milles nautiques», précise Michel.

Leur propre enquête les amène à conclure qu’il s’agissait d’un bateau mexicain, japonais ou chinois qui se trouvait dans le secteur.

La mission

Cette expédition internationale, orchestrée par les deux Sylvifrancs, avait pour mission le balisage de requins pour déterminer leur route migratoire en vue de créer une zone marine protégée, mais aussi de documenter ce qui se trouvait sous l’eau dans les environs de cet atoll.

Les deux plongeurs d’expérience ont constaté une présence de requins moins abondante que ce que révélaient les informations.

«Il n’y a presque plus de requins adultes, mais beaucoup de juvéniles. Les adultes, pense-t-on, ont été pêchés. Les ailerons de requins représentent une fortune, 1000 $ le kilo, plus cher que la cocaïne», constate Michel Labrecque.

«C’est un marché lucratif qui justifie que les pêcheurs aillent si loin», ajoute Julie Ouimet.

Même si l’expédition n’a pu apercevoir beaucoup de squales, les membres ont réussi tout de même à en baliser quelques-uns.

«En retirant des récepteurs installés il y a quelques années, on a commencé à en retirer certaines données très préliminaires indiquant une trajectoire migratoire qui passe par Clipperton, du moins pour certains requins», observe M. Labrecque.

Voilà une étape importante pouvant mener à la protection de l’île par la création d’une réserve marine. Et la France semble vouloir agir en ce sens. «Un ministre français a déjà commencé à annoncer son intention d’établir un camp scientifique sur l’île. Une présence permanente à Clipperton éloignerait les pêcheurs illégaux. C’est déjà une bonne nouvelle», fait remarquer Michel.

Point positif, par ailleurs, relevé par l’expédition, la santé du récif. «Probablement l’un des plus en santé au monde», confie-t-il.

La mission a permis aussi aux intervenants de recueillir une grande quantité d’images pour observer la population sous-marine, les différentes espèces. Les plongeurs ont découvert une abondance de poissons. On y observe même certaines espèces qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. «On a aperçu, dit Julie, un petit poisson qu’on ne trouve pas ailleurs, un poisson très prisé par les collectionneurs pour les aquariums.»

Le prix, 15 000 $ pour ce poisson, amène aussi la pratique de collection illégale.

Ce poisson, s’il se trouve en quantité suffisante comme on le croit, pourrait constituer une source de financement pour l’établissement d’une base permanente à Clipperton.

Un retour en 2017 ou 2018?

Michel Labrecque et Julie Ouimet ont apprécié leur expédition, mais ils demeurent un peu sur leur appétit. Les vents forts qui soufflaient lors de leur passage à Clipperton les ont empêchés de plonger du côté nord de l’île.

«C’est malheureux parce que c’était l’endroit suspecté pour le plus grand nombre de requins. Ce qui fait que nos conclusions, quant au peu de requins adultes, sont un peu hâtives. Avec El Nino cette année et la température chaude de l’eau ont pu faire en sorte que les requins descendent plus bas pour retrouver l’eau fraîche», explique Michel.

Voilà pourquoi Julie et Michel veulent y retourner pour compléter leur mission. Une expédition qui pourrait se faire vers la fin 2017 ou au début 2018.

«Si nous y allons, on va s’assurer, cette fois, d’avoir un bateau plus rapide pour ne pas perdre de temps. Notre temps sur l’île a été sérieusement amputé, indique Julie Ouimet.

Selon Michel et Julie, plusieurs membres de l’équipe aimeraient aussi y retourner. «Juste de mettre le pied sur l’île, c’est une impression qui nous reste. De penser que des gens y ont habité au début des années 1900, on ne s’imagine même pas comment ils pourraient vivre sur l’île, tellement c’est austère», conclut Michel Labrecque.